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Frontières

Je me réveille d’un cauchemar qui me gagne régulièrement dans mon demi-sommeil : je suis sur le point d’être démasquée, les autorités se sont aperçues que j’étais quelqu’un d’autre que je ne croyais. Je ne suis nullement la fière détentrice de la nationalité qui me donne tant de droits, tant de chances et de possibilités, mais un parasite qui depuis des dizaines d’années vit aux dépens d’autrui et trompe les véritables habitants de la nation belge. Je prive les Belges de leurs équipements collectifs et de leurs richesses naturelles, puise dans les réserves et les fonds qui sont leur propriété mais non la mienne, et sur laquelle je n’ai aucun droit parce que je ne suis pas née sur leur sol. J’ai beau croire m’y être bien prise, pouvoir présenter tant et tant de lettres de créance, un jour quelqu’un dit : tu n’es pas d’ici. Tu ne possèdes pas le droit du sang qui légitime ta succession. Puis on me chasse, je m’éveille dans un société d’identités électroniques crashées, et je sais : au-delà d’une certaine frontière, je ne suis plus personne. Comme le rêve me poursuit, je m’adresse au service Population de ma commune. La dame du guichet me rassure. Bien que je me sois trompée toutes ces années, je peux devenir belge conformément à l’article 17 CNB 10. Si des années durant, un étranger est considéré comme un Belge par son entourage et en est lui-même convaincu, il peut encore se faire enregistrer en tant que belge. Il lui suffit de faire une déclaration de nationalité et il obtiendra les bons papiers. La seule condition est que pendant dix ans au moins, il ait cru de bonne foi qu’il était belge.

Je peux de nouveau dormir tranquille, ce pays est le mien et celui de toutes les autres personnes ayant les bons documents. Nous possédons le pays. Celui qui est en « possession » d’une nationalité est copropriétaire. Nous gouvernons nous-mêmes par l’intermédiaire des pouvoirs élus : les autorités. Les autorités décident qui entre sur notre territoire et qui pas, qui peut prétendre à l’hospitalité et qui pas. Parce que nous « possédons », mes concitoyens et moi élevons de hauts murs.

Il y a tant de gens qui font des cauchemars. Ils ont des ambitions économiques ou artistiques. Ils ne se sentent pas soutenus par leur nation. Ils sont tellement agités qu’ils veulent s’en aller. Ils cherchent un pays où il fait mieux vivre, et leur œil tombe sur le nôtre. Entre sommeil et veille, je pense à eux. Ils viennent ici de bonne foi, avec l’envie de s’engager en habitant ici, travaillant ici, créant des association, payant des impôts. Qu’est-ce qui les différencie de moi ? Le lieu de naissance, le pedigree, l’habitude, l’accent. Rien de plus, mais nous ne les laissons pas entrer. Keep dreaming, disons-nous, sweet dreams et keep dreaming.

Anne Provoost
Traduit du néerlandais par Marie Hooghe