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Fragment Frans

Chapitre 1

Au moment où on ramène Caitlin chez elle, je me tiens au bord de la route. Personne ne m'a annoncé sa sortie d'hôpital, mais j'en ai le pressentiment et je reste là toute la matinée. Je tourne en rond. De mes doigts à peine guéris, j'arrache les têtes fanées des géraniums sur l'appui des fenêtres. Je fais rouler sous ma semelle les brins d'herbe reverdis par la pluie et les transforme en petites tiges brunes. Immense tente imperméable, le ciel plombé de nuages enveloppe le cloître et la maison couverte de rosiers grimpants. Le plus frappant, ce sont tous ces volets ouverts. Cet été, ils sont restés clos pour empêcher le soleil d'entrer. Maintenant, l'air humide s'engouffre à l'intérieur.

Lorsque l'ambulance passe, je suis debout dans le virage, dos tourné à la maison. Avec le vent et le bruissement des arbres, je ne l'ai pas entendue arriver. Elle apparaît lentement au détour de la colline, le moteur vrombit en seconde. J'ai largement le temps de jeter un coup d'œil par la vitre. Caitlin n'est pas couchée sur un brancard à l'arrière comme il y a trois semaines, quand on l'a emportée toutes sirènes hurlantes. Assise à la droite du chauffeur, elle regarde devant elle d'un air assuré, à croire qu'elle a l'habitude de ce genre d'équipées! (" Parfois, je ne te comprends pas ", lui ai-je dit un jour. Elle s'est retournée d'un quart de tour et m'a répondu: " Quand on déménage tout le temps, on cesse de se faire des amis.")

L'ambulancier aborde prudemment le tournant. J'accompagne le mouvement, pas seulement de la tête et des yeux, mais de tout mon corps. Je pivote lentement sur moi-même, les bras ballants, le menton légèrement pointé en avant. Avant même que j'en prenne conscience, nous échangeons un regard. Je veux faire un signe de tête, battre des paupières ou crier, mais mon visage se fige. Elle me regarde comme on regarde un bâtiment en passant ou un inconnu auquel on ne fait pas attention. A part la couleur jaune de son visage, elle n'a rien d'exceptionnel. Elle se tient droite, elle allonge le cou comme certains oiseaux avant de s'envoler. Je connais sa façon de parler, de bouger en parlant. Oui, je la vois: elle regarde un truc, cligne des yeux, se retourne et vous fait soudain: " Tu disais ? "

Assise comme elle l'est en ce moment, on dirait une fille tout à fait normale. Une fille qui descend la colline à vélo et la remonte à pied. Une fille qui, par les journées d'été., s'enfonce dans l'étang jusqu'aux genoux et se laisse tomber dans l'eau en poussant un cri. Une fille qui s'exclame: " Merde, ce frein ne marche pas ", quand elle se balade en auto dans les collines en cachette de sa mère.

Nos regards se croisent une fraction de seconde, mais on dirait une éternité. Je prends conscience de l'air que j'ai, debout dans mes jeans, mes pieds nus dans mes chaussures, tendant le cou pour bien la voir. Mes mains portent encore des bandages. Je me frotte les doigts pour réveiller la douleur, mais les plaies sont sèches et presque entièrement refermées. Je ressens juste un vague engourdissement autour des ongles et l'hypersensibilité veloutée de ma peau toute neuve. Soudain, je sais pourquoi je m'affiche: je veux faire semblant. Comme si je n'avais pas honte de ce qui s'est passé.

Dès que la voiture blanche a disparu derrière les arbres, je fais le tour de la maison. Je ne dis rien à ma mère qui range sous l'auvent les chaises de jardin et emballe les coussins dans des housses plastifiées. Je rentre par derrière, je grimpe l'escalier, je me dirige vers la chambre, celle de mon grand-père autrefois. Je ferme la porte à clef derrière moi quand ma mère entre dans la maison. Au milieu de la pièce trônent les deux valises où j'ai entassé mes affaires de vacances, ce matin. Je les soulève et les pose contre le mur. J'essaie de faire glisser silencieusement le pupitre sous la lucarne, mais sans réel succès: la table est lourde et le plancher, inégal. Les pieds raclent le sol. Je grimpe sur le bureau. Par la trouée du feuillage, je regarde la cour, devant le bâtiment du cloître.

J'arrive juste à temps. L'ambulance franchit le portail, ralentit et s'arrête. L'infirmier descend, il bondit presque, comme pour afficher sa santé éclatante. Il sautille autour de la voiture pour ouvrir à Caitlin. Il sort d'abord deux béquilles grises qu'il appuie contre la portière ouverte. Il offre son bras gauche. Sur la manche blanche, se pose la main de Caitlin. A cette vue, je suis pris d'un frisson. On dirait que ses doigts frôlent mon propre bras. Je sais que ses mains ne transpirent jamais, qu'elles sont toujours fraîches, comme si elle les passait régulièrement sous l'eau froide. Je les ai effleurées chaque jour ou presque, quand nous descendions vers la ville par le sentier du berger, en coupant par les rochers de Challon. Il l'aide à descendre. Pendant le temps qu'elle passe à s'extirper du véhicule, je ne vois rien de spécial. Un instant, je crois que tout s'est arrangé. Mais elle opère un quart de tour. Elle tourne son visage vers moi, renverse légèrement la tête et reste un instant pétrifiée. Évidemment, elle sait que je l'observe, perché sur ce bureau. A cette distance, l'expression de son visage est indéchiffrable. Il commence à pleuvoir doucement. Comme par méprise, une volée de pigeons arrive à tire-d'aile et fait un atterrissage chaotique quelques mètres derrière elle. Caitlin attrape ses deux béquilles, écarte légèrement les jambes. Maintenant, je le vois distinctement: son pied gauche a disparu.