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Fragment Frans

Traduction de Pascale Bonnet

…Les Rrattikata, ces gens taciturnes et irréfléchis, se mirent à parler. Petits et grands, ils discutaient de l’eau et de l’inondation. A la suite de cela, les enfants firent de mauvais rêves. Ils ne savaient pas ce que « se noyer » signifiait, mais les paroles de leurs pères les tourmentaient : « Si tu ne fais pas attention, des gouffres d’eau t’engloutiront ! » et ils se réveillaient en suffoquant. Leur angoisse grandissait, et avec elle, celle des vieillards décrépits qui savaient que leur vie dépendait de la sédentarité de leur famille - celui qui errait n’avait aucune chance : il serait abandonné avec quelques cruches d’eau et un morceau de pain dans un endroit ombragé. Et à mesure que la peur s’intensifiait, les habitants du chantier réalisèrent que, pour les enfants, les vieux, les faibles et les malades, mieux valait ne plus en parler. Surgirent alors comme par miracle toutes sortes d’explications de ce que le maître d’ouvrage avait dit, et personne n’en tira l’unique et juste conclusion : beaucoup d’entre eux allaient mourir. Et taire, c’est oublier. Parce qu’aucune nouvelle information ne vint confirmer l’ancienne, advint ce qui arrive habituellement : les présages de catastrophe furent oubliés en dépit de leur caractère funeste. On trouve des failles dans les prophéties, des imprécisions qui laissent supposer qu’il s’agit de mensonges.

Finalement, le désastre parut tellement lointain qu’ils en vinrent à penser qu’il ne frapperait pas leur époque, ni même celle de leurs enfants ou de leurs petits-enfants. Le maître d’ouvrage avait déjà tellement vécu qu’il vivrait peut-être encore deux fois plus longtemps et qu’au moment où l’eau arriverait enfin, de nouvelles solutions auxquelles ils ne pensaient pas encore auraient vu le jour, ou de nouveaux dieux, des fils de ce dieu-ci, dont les opinions et les moyens seraient différents. Et dès lors, que pouvaient-ils faire d’autre que de se consacrer aux tâches quotidiennes, qu’auraient-ils bien pu entreprendre ? Préparer une insurrection ? A quoi bon arrêter de dormir et de manger ?

Au début, je m’efforçai de leur rappeler le sinistre présage. Je leur dis qu’il y avait peu de place sur le bateau, que seuls ceux qui construisaient leur propre embarcation avaient une chance de survivre au déluge, mais je ne reçus que des regards impassibles et détachés. Ils regardèrent sous ma coiffe et remarquèrent que je n’étais pas des leurs. Une minorité prit mon conseil au sérieux. Ils se mirent à rassembler du bois et à improviser quelque chose. Mais alors qu’ils participaient depuis des années à la construction d’un bateau de grande taille, aucun d’entre eux ne savait comment en assembler un petit. Le bois fut vite abandonné et on l’utilisa à d’autres fins. Et au fur et à mesure que le temps s’écoulait sans que rien ne se passe, l’atmosphère se détendait. Grâce à leurs bêtes, les habitants du chantier disposaient en abondance de fumier, comme combustible, et de laine. Ils avaient des œufs à foison. Les abeilles étaient généreuses de leur miel. Les ruminants étaient dociles et se laissaient traire. Les gens organisèrent des banquets sur les parcelles qu’ils habitaient. Ils invitèrent des étrangers : les femmes qui me voyaient passer me faisaient signe et il m’arriva plus d’une fois d’avoir mangé avant de regagner la maison. Je rencontrai toutes sortes de gens qui venaient de cités éloignées et voulaient s’installer ici. De petites affaires montées avec peu de moyens florissaient ; des vagabonds arrivèrent et ne repartirent plus.